Quand je dis que tes yeux parlent...
Je t’aurais croisé dans la rue à cet âge, je t’aurais trouvé adorable. Mais c’est plus que ça.
C’est une photo d’école. Je sais que tu détestais l’école. On m’a raconté que dans «l’ancien temps» on mettait des bonnets d’ânes sur la tête des élèves moins studieux, je t’imagine assis dans un coin de la classe, tout seul sur un tabouret, avec un chapeau pointu et des oreilles de Bouriquet collées dessus.
Tu détestais l’école et pourtant, tu avais une intelligence hors du commun. La méthode n’était pas pour toi; la vie, c’était ton école. Un milieu différent, une école loin de ton quartier, de ta petite ville où tout le monde se connaissait. Une salle de classe où tu devais rester assis alors qu’à la maison, tu sortais à l’aube et tu rentrais pour le dodo (ou presque!). Tu avais cette curiosité qu’ont les petits garçons de cet âge, qui rend les heures assises à un pupitre tellement pénible. On t’aurait sûrement diagnostiqué un TDAH aujourd’hui. À l’époque tu avais juste beaucoup d’énergie.
Pour certains, ce n’est qu’une photo de classe d’un petit garçon. Mais pour moi, c’est une photo qui parle tellement. Même si tu as peut-être 6 ou 7 ans sur cette photo, je plonge dans tes yeux et je peux y lire tout ce que je sais de toi. Je peux lire cette bienveillance que tu as en toi. De t’assurer que tout ton monde est ok. Que malgré ta couenne dure, tes airs de «toff», il y a des choses qui viennent vraiment te toucher et pour lesquelles tu traverserais des océans s’il le fallait. Des yeux pleins d’imagination, que ce soit pour le prochain mauvais coup ou la bonne idée qui fera plaisir à ton papa ou ta maman. Ce n’est jamais dans de mauvaises intentions, quoique souvent maladroit (comme aller couper un sapin sur un terrain voisin pour le ramener à la maison pour Noël…). Tu en as patenté, gossé et fabriqué, des affaires. Cette insouciance caractéristique de l’enfance pour qui la seule limite est celle imposée par les autres. Celle-là même qui t’a fait insister pour porter une corde avec une breloque de cheval trouvé dans un sac de popcorn pour ta photo scolaire.
Des yeux remplis de persévérance. Tu ne t’es pas rendu où tu es aujourd’hui sans travailler d’arrache-pied. Il y a eu des victoires mais aussi des échecs. Des échecs un peu ou beaucoup difficiles à surmonter. Ça se voit bien par cette sensibilité. À 6-7 ans, les peines, bien que réelles, sont petites. Plus on grandit, plus elles deviennent grandes. Ton regard aurait pu être différent en grandissant, mais non, c’est comme si ton âme portait déjà le poids de ton futur.
Ils ont quand même changés, tes yeux. Là-dessus, ils ont l’air plutôt bleu alors qu’aujourd’hui, ils sont verts. Ils ont pris de l’âge, de l’expérience, des rides. Mais c’est pas mal tout.
Mais plus que tout, j’ai tellement, mais tellement l’impression de me voir, moi-même. Les mêmes yeux, les mêmes traits, le même tempérament, la même fragilité. Desfois, j’ai l’impression d’être la seule à vraiment comprendre qui tu es. C’est un peu prétentieux, quand même, je ne te connais que depuis 30 ans.
Sache que même s’il y a bien des choses que j’aimerais enlever de sur tes épaules, ces yeux et ce sourire quand tu me regardes, quand tu regardes mes enfants, je souhaite qu’ils restent ainsi pour encore très très longtemps…
Le plus fort, c’est mon père. Pour vrai.